Le Festival panafricain de musique (Fespam) se tient à Brazzaville du 15 au 22 juillet 2023. Au cours d’une interview accordée au site ‘’ Datsoue news ‘’, le Commissaire général de ce grand festival musical, Gervais Hugues Ondaye, s’est exprimé sur son bien-fondé, les raisons de sa relance, les attentes et son impact sur le développement.
Datsoue news (DN) : Le Festival panafricain de musique vient de reprendre ses activités. Nous venons d’assister à son lancement officiel à Sibiti et à Paris en France, sous le haut patronage du Premier ministre, Anatole Collinet Makosso. Quelles sont vos impressions ?
Gervais Hugues Ondaye (GHO) : Dans le cadre de notre communication institutionnelle, on a organisé deux lancements comme de tradition. Il y a eu un lancement à Sibiti, au plan national et à Paris, tout précisément à la maison de l’Unesco pour le lancement international. C’est un sentiment d’un travail accompli, mais à mi-étape encore. Parce qu’on ne va pas nous juger sur les lancements. Dans notre manière d’être, on ne se baigne pas dans l’autosatisfaction, nous avons comme slogan ‘’ faire et laisser dire’’, sinon ‘’ bien faire ‘’. Mais le retour que nous avons, nous réconforte dans notre démarche de perfection. Donc, c’est un sentiment de joie, mais aussi de responsabilité parce qu’on a plus droit à l’erreur jusqu’à la fin de l’édition le 22 juillet.
DN : Après huit ans d’hibernation, peut-on connaitre les raisons de ce silence ?
GHO : Le silence était dû à des raisons conjoncturelles. Il faut savoir que la conjoncture économique n’était pas favorable aux Etats africains. Nous avons eu également la pandémie à Coronavirus, sans oublier les crises structurelles. La structure avait aussi quelques faiblesses. Toutes ces raisons conjuguées, on ne pouvait pas organiser dans les bonnes dispositions une édition du festival panafricain de musique. Le Congo, qui en est le responsable n°1 en termes de financement ne pouvait convoquer la musique africaine. Maintenant que le Président de la République a pris l’engagement de la relance, nous y sommes.
DN : Le Président de la République a pris l’engagement de relancer les activités du festival, quel est le vrai mobile du FESPAM ?
GHO : Le FESPAM est l’émanation de l’Union africaine. C’est à la limite, son bras musical, en matière de promotion de la musique africaine. Il est comme un organe technique qui accompagne l’Union africaine dans la formulation des politiques sectorielles dans le domaine de la musique. La musique est un domaine vaste. Mais, l’Union africaine passe des commandes pour que nous puissions travailler sur un certain nombre de thématiques. Donc, le Fespam est un instrument de l’Union africaine qui a la mission de promouvoir la musique africaine et de sa diaspora. Il a, entre autres, missions de documenter la musique africaine, animer le musée panafricain de musique et organiser un marché des musiques, sans oublier les aspects scientifiques, en termes de recherche à travers les différents thèmes qui sont proposés pendant les éditions.
DN : Que peut-on attendre de tout son déroulé ?
GHO : Comme toute institution, il y a des objectifs à atteindre. D’abord créer des espaces de diffusion pour nos artistes, qu’ils soient locaux ou étrangers. Le FESPAM leur donne l’occasion de pouvoir développer leurs talents, mais aussi, les met en contact avec des industriels du domaine de la musique. Quand je parle des industriels, je vois tous ceux qui travaillent sur la chaine de valeur musicale, excepté les artistes. Pour cette édition, nous attendons beaucoup de professionnels, d’artistes, notamment des délégations pays et les artistes locaux. Notre objectif est de rêver grand et, qu’à travers le FESPAM, les artistes trouvent un espace de développement des carrières. C’est ce que nous essayons de faire modestement. Car, le modèle économique qui dépend seulement de l’Etat est fragile. Aussi, sommes-nous appelés à diversifier les sources de financement du Fespam pour qu’on ne tombe plus dans l’hibernation tant décriée.
DN : Vous parlez des sources de financement, le Fespam est l’initiative des pays africains, pourquoi le Congo doit-il être le seul contributeur ?
GHO : Non, il ne faut pas dire que le Congo est le seul contributeur. N’oubliez pas qu’à chaque édition, l’Unesco accompagne le symposium. Il met un peu d’argent. De même, des délégations – pays sont pris en charge par leur pays, en termes de cachet et de transport. À Brazzaville, le Fespam ne s’occupe que de la restauration, du logement et du transport. C’est déjà un apport important. S’il faut chiffrer la participation des Etats, c’est une contribution importante, qui malheureusement ne sort jamais dans nos déclinaisons antérieures.
DN : la 11eme édition sera célébrée sous le thème : la rumba congolaise : envol de la base identitaire vers les vertices du patrimoine de l’humanité », quelle appréhension avez-vous de ce Fespam de relance, notamment de ce thème ?
GHO : Ce thème est d’actualité. En 2021, la République démocratique du Congo et la République du Congo avaient porté le dossier de l’inscription de la Rumba congolaise à l’Unesco. Ce dossier a été soutenu par les deux chefs d’Etat, respectivement, Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo et Denis Sassou N’Guesso. Depuis, on n’a pas encore eu l’occasion de célébrer cette consécration. La rumba devient patrimoine mondial, il était question que nous convoquions les gens sous ce thème. Un thème fédérateur qui nous permet d’imaginer des mécanismes de conservation de cette rumba qui semble être menacée par la musique urbaine, et de trouver de stratégies pour qu’elle ne tombe pas dans la convention du patrimoine en péril. Donc, c’est un thème évocateur, d’actualité qui permettra aux chercheurs de revisiter l’histoire de la rumba congolaise depuis sa création jusqu’à sa consécration.
DN : La musique peut-elle avoir un lien avec le développement d’un Etat ?
GHO : Oui ! La musique intervient à plusieurs niveaux dans tous les domaines. D’abord, au niveau de la transformation de l’humain. Souvent, les gens ne font pas attention. Un enfant apprend mieux par la musique que par tout autre moyen. La musique peut participer à la promotion de vraies valeurs. Elle peut être aussi une arme de destruction massive, si elle est mal utilisée. Puis, la musique développe la capacité de l’écoute de l’enfant. Elle ouvre des imaginations. La musique berce, elle est agréable, c’est le compagnon de l’homme. Ensuite, elle a aussi une dimension économique. Il y a toute une industrie autour de la musique. Il y’ a un éventail de métiers qui sont liés à cet écosystème, de la création jusqu’à la diffusion ou bien à la commercialisation. Enfin, aujourd’hui, parmi les industries culturelles, c’est l’une qui contribue plus au développement des Etats. L’industrie musicale a un certain moment avait même supplanter l’industrie automobile aux États-Unis. Nous avons une richesse, des créateurs. Il suffit de mettre les moyens, les mécanismes pour que toutes ces énergies soient au service du développement. Donc, votre question interpelle la prise de conscience pour tout le monde, y compris les artistes. Lorsqu’on s’inscrit dans une logique artistique, c’est un métier libéral, à ce niveau, il faut commencer à réfléchir pour garantir son avenir.
Actuellement, le gouvernement fournit des efforts de codification avec les différentes lois. J’ose espérer que des politiques et les infrastructures mises en place dans le domaine de la musique permettront aux artistes de tourner au plan local et créer de la richesse pour chaque localité.
DN : Brazzaville sera bientôt en pleine fête, comment les choses vont-elles se dérouler ?
GHO : Les choses se préparent normalement. C’est une édition de relance. Elle sera populaire. Nous avons essayé de disséminer les scènes un peu partout pour permettre aux artistes de bien tourner du nord au sud de Brazzaville. Donc, nous aurons une scène à Kintelé, en plein 1000 logements, une autre au Centre national de radio et de télévision (CNRTV) à Nkombo. La scène principale aura lieu au stade Alphonse Massamba- Débat. Le grand hub sera au palais des congrès où se développera presque l’ensemble des activités de notre festival à savoir, le symposium, l’exposition des instruments de musiques traditionnelles et le Musaf. Ce marché mettra les artistes en face des industriels du domaine de la musique. Nous aurons aussi un site d’appoint à Poto-poto et à Mayanga.
DN : La question de l’argent, notamment le cachet des artistes fait autant de bruit, qu’en est-il pour cette édition ?
GHO : je crois qu’on est en train de faire un travail de pédagogie pour conscientiser les artistes. On ne vient pas jouer au Fespam uniquement pour l’argent. Certes, on a envie de gagner. Le Fespam, c’est un espace qui permet aux artistes de développer leurs carrières, de rencontrer des tourneurs, des managers, des producteurs, des directeurs de salles. Donc, nous mettons un accent particulier sur cette dimension du marché. C’est de là que chaque artiste peut signer un contrat pour le développement de sa carrière. Ce qui est sûr, c’est que les questions de cachets sont déjà réglées dans le corps artistique qui règlemente le mode de participation et des rémunérations au Fespam. Les artistes amateurs ne seront pas payés parce que le Fespam leur crée de la visibilité. Par contre, les professionnels seront payés, mais modestement, c’est le Fespam qui fixe leur cachet avec l’obligation de jouer sur l’ensemble des sites. Donc, on ne vient plus pour jouer sur un spectacle, mais sur l’ensemble de l’édition. Au sommet de la pyramide, il y a des artistes que nous négocions au prorata de leur poids sur la musique africaine. A ce sujet, nous avons des annonceurs, des mécènes qui nous accompagnent dans la mise à disposition de ces artistes. C’est pour cela qu’on a multiplié les sites pour donner l’occasion à tout le monde de participer à la fête. Une nouvelle fois, merci beaucoup pour le temps que vous avez bien voulu disposer pour venir nous interviewer.
Propos recueillis par Alain Orland