Le problème de cession des terres du Congo au Rwanda fait couler beaucoup d’encre et de salive. Cette affaire déchaîne les passions, crée des divisions et de psychose au sein de la population. Pour apaiser les tensions et dissiper les malentendus, le gouvernement a entrepris depuis un certain temps une campagne d’explications sur le contenu de ces textes. Le ministre de la Communication et des Médias, porte-parole du gouvernement, Thierry Lézin Moungalla, dans une interview accordée aux médias en ligne et public, a apporté quelques éclaircissements sur ces accords.

Datsoue News (DN) : Pourquoi les accords de cession des terres au Rwanda suscitent -ils autant de polémiques ?

Thierry Lézin Moungalla (TLM) : Nous avons pris toutes les garanties pour nous assurer de la maîtrise du processus et de la possibilité, à tout moment pour l’Etat, s’il constatait un dysfonctionnement, de revenir sur ces accords. Alors, j’entends bien ce qui est dit par nos patriotes, c’est une cession. Non, ce ne sont pas des cessions. La cession, en droit foncier congolais, c’est une vente. Vous prenez un terrain, vous le vendez à un tiers, c’est une cession. Mais, si vous donnez un terrain à titre gracieux, ce n’est pas une cession, le mot cession est impropre. Nous mettons au défi ceux qui estiment qu’il s’agit d’une cession de nous en apporter la preuve, parce que nous devons expliquer à nos compatriotes comment se passe une cession.

Pour ce cas, ce sont des autorisations provisoires qui prennent la forme d’arrêtés rendus publics et publiés au journal Officiel avec toutes les formalités qui permettent de dire qu’il s’agit d’une location qui sera, à un moment donné, concrétiser par des autorisations expresses de longue durée. Or, la cession est une autre chose.

 Savez-vous comment se passe la cession d’un bien relevant du domaine public ? Un décret de cession est pris en conseil des ministres. Ce décret vaut acte de vente. Quand l’État dispose d’un bien relevant de son domaine public, il ne va pas chez le notaire pour faire établir un acte de vente, comme le ferait un particulier.  C’est une procédure publique où le conseil des ministres adopte un décret de cession. Et, ce décret est accompagné des données cadastrales, une carte jointe au décret qui permet de regarder la contenance de ce qui est vendu ou donné. Ici, il n’y en a pas parce qu’il n’y a jamais eu d’acte adopté en conseil des ministres.  Cela n’existe pas. Je mets au défi les gens de publier des textes administratifs qui contiennent les actes de cession en faveur de cette entreprise. Quand on vend un bien, il y a un prix. Mais ici, on ne nous donne pas de prix, ni d’immatriculation, ni de titre foncier. Le décret n’existe pas. C’est ce que j’appelle une sorte de Mokele- mbembe (Loch Ness), le fameux monstre qu’on avait au Congo, paraît-il, dans la Likouala. Tout le monde en parle, mais ne le voit pas. Aujourd’hui, tout le monde parle de cession et personne ne voit la cession parce qu’il n’existe pas de cession.

 Vous savez, le gouvernement apparait comme Galilée. Même sur le bûcher, il disait pourtant elle tourne, mais l’église n’avait pas apprécié cela. Nous sommes un peu comme Galilée, personne ne nous croit. Mais, les preuves ne sont pas cachées dans les officines du gouvernement. Le cadastre et les services de publicité foncière ont de si particulier ; quand nous achetons un bien, nous devenons propriétaire. La diligence, dans ce cas, est tout simplement à rendre notre acquisition parfaite, parce qu’en matière de droit réel immobilier, il peut y avoir de chevauchement, des concurrences. Quand nous achetons un bien, notre intérêt, c’est d’aller directement l’immatriculer pour avoir le titre foncier qui a une valeur déclarative de la propriété et fiscale. Dans notre cas, tous ces éléments n’existent pas, c’est pour cela que je vous marque notre détresse, qui consiste à voir une forme de désinformation générale. Ces acteurs politiques, administratifs, tous ceux de nos compatriotes, peuvent aller vérifier ces éléments au cadastre, c’est public. Donc, je tenais à apporter ces éclaircissements sur le contenu et les accords, de la part du gouvernement qui n’a peut-être pas assez communiqué en amont. Les accords concernent deux gouvernements et deux Etats. Pour les 5 sites pour le Ricin, il y a un accord que je qualifierais presque de triangulaire entre un opérateur pétrolier qui veut faire du bio carburant et un gouvernement qui accepte de mettre à disposition ses terres, le problème, c’est qu’il n’a pas une expertise pour la production ; mais, une entreprise se présente et rend triangulaire l’ensemble du processus. Le gouvernement lui met à disposition, sous la forme d’abord d’autorisation provisoire, parce qu’on est prudent et on vérifie si elle est capable. Au terme des 24 mois, on transforme ensuite cela en une sorte de bail emphytéotique, qu’on appelle dans notre législation des autorisations expresses d’occuper.

DN : Pourquoi avoir attendu toute cette polémique pour que le gouvernement puisse communiquer sur cette affaire ?

TM : Au-delà de mes fonctions gouvernementales, je suis un homme politique. N’attendez pas de ceux qui sont hostiles au gouvernement en place qu’ils soient de bonne foi, quand ils essaient de peindre en noir l’action du gouvernement. C’est clair, si l’on voulait de la gentillesse, ce n’est pas dans le monde politique qu’on la trouvera et surtout pas de nos opposants. C’est de bonne guerre ! La difficulté, je l’ai confessée, j’avoue, c’est qu’on n’a pas mesuré assez l’importance de   préciser un certain nombre de choses concrètes sur ce dossier. Mais, je vais vous confesser quelque chose. Quand, nous avons reçu les prêtres, le Clergé catholique, l’un des évêques nous a confié que les congolais ont peur des Rwandais. Le fond du problème est là.  

DN : Monsieur le ministre, les congolais n’ont-ils pas raison d’avoir peur des rwandais au regard de leurs agissements ignobles et barbares perpétrés à l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) ?

TM : Une grande partie de la population considère, pour des raisons qui nous échappent, que l’arrivée éventuelle des rwandais, ce qui n’est pas le cas. Il n’y a pas des charters d’avions rwandais qui viendraient verser une main d’œuvre ici. Je reviens sur la psychose qui est irrationnelle. Pourquoi je dis qu’elle est irrationnelle ? Vous avez quelqu’un qui a une phobie sur quelque chose ; dès qu’il sera dans les conditions de cette phobie, il sera effrayé. C’est cela le fond du problème. Pour rassurer nos compatriotes, il faut d’abord préciser qu’il n’y a pas cette main d’œuvre importée au Congo. Ce n’est pas prévu sur tous ces 5 sites du Ricin et le ranch de Massangui. Il n’est prévu que le recrutement des populations locales.

On a ensuite essayé de réfléchir pourquoi cette psychose. Elle est incompréhensible. Nous oublions parfois de nous rappeler des notions d’histoire. En 1997, l’ex-Zaïre a connu une guerre civile. La poussée militaire du feu le Président Laurent Désiré Kabila part de l’Est pour finir à Kinshasa. Le feu Président prend le pouvoir et transforme le pays en RDC. Mais depuis 1994, il y avait des camps de réfugiés des Rwandais, souvent d’ethnie Hutu, ayant fui leur pays à cause des conflits fratricides. Devant la poussée militaire du feu Président Kabila, les réfugiés qui étaient à l’Est ont fui vers l’ouest de la RDC. Par la suite, ils sont tous passés massivement en République du Congo. Ils sont plusieurs milliers depuis 1997 à Brazzaville et dans d’autres parties du pays. 27 ans, c’est une génération, ils sont là ; on ne parle pas de Guatémaltèques, ni des Espagnols, mais des Rwandais. Des gens dont les enfants sont même nés ici, des gens qui font souche ici, qui parfois se marient entre eux, se marient avec des ressortissants de notre pays. Est-ce que ceux qui présentent les dangers, parait-il, de ce peuple dans notre pays, n’ont-ils pas cette expérience que nous vivons tous ensemble ; est-ce qu’aujourd’hui quelqu’un peut nous dire que ces personnes d’origine rwandaise commettent des actes qui attentent à la stabilité de notre pays ? Je ne crois pas. Depuis 27 ans, on le saurait. Ce sont des gens, au contraire travailleurs, qui sont souvent dans le domaine agricole, commercial. Voyez-vous bien que cette psychose ne se repose pas sur une expérience particulière. Est-ce qu’on n’est pas en train de plonger dans une forme de xénophobie qui ne dit pas son nom ? Pouvons-nous relever à l’égard de cette communauté, présente chez nous, depuis 27 ans, de l’agressivité, de la délinquance ? On parle de bébés noirs, je peux vous communiquer à ce sujet, au moins, une statistique. Il n’y a pas de Rwandais parmi les bébés noirs.

   Propos transcrits par Flore de Jésus.