La République du Congo a confié récemment à la société nationale d’électricité du Sénégal (Senelec) la gestion du segment de la distribution et de la commercialisation de son électricité pour une période de 10 ans. Cette réforme suscite d’énormes réactions au sein des populations congolaises et des travailleurs de la Société énergie électrique du Congo(E2C). Les travailleurs de E2C craignent la perte de leur patrimoine et de leur outil de travail. Dans une interview réalisée avec le site ‘’ Datsoue News ‘’ , le président du Collège de l’intersyndical de E2C ( SIDO), Franck Simon MOKOMBO, a exprimé son désarroi sur le choix des partenaires et l’attitude du gouvernement dans la mise en œuvre de cette réforme.

Datsoue News (DN) :  La Société énergie électrique du Congo (E2C) fait aujourd’hui la Une des actualités. Elle est en pleine crise, pourriez-vous nous dire, de manière succincte, qu’est-ce qui se passe au sein de cette entreprise ?

MOUKOMBO Simon Franck (MSF) :  Le gouvernement a décidé que nous puissions passer par les réformes pour redresser E2C. Pour votre gouverne, en 2003, le gouvernement avait soumis au Parlement une loi portant code de l’électricité. Le Parlement avait voté cette loi qui a libéralisé le secteur de l’électricité. Nous étions d’avis pour la réforme telle qu’elle a été envisagée par le Président de la République et le gouvernement. Mais, nous aimerions aussi que les réformes se fassent de la bonne manière et dans la transparence. Dans les documents que vous avez regardés, l’E2C sera morcelée en trois entités. Nous aurons donc une entité pour la production, une autre pour le transport et la troisième pour la distribution et la commercialisation.

DN : Alors, où est le nœud du problème ?

MSF : En 2017, nous avions eu un atelier à Brazzaville où l’État congolais a pris pour conseil la Société Senelec du Sénégal.  Au terme de cet atelier, les experts de la Senelec ont dit au gouvernement congolais que la taille de l’entreprise de E2C ne répondait pas à un morcellement. Pourquoi ?  parce que nous avons 98% de nos clients qui sont des clients de la base tension et l’entreprise n’atteint pas plus de 1 million d’abonnés. Donc, faire le morcellement de la société E2C ne devrait pas obéir au schéma que le gouvernement veut faire aujourd’hui. En conclusion, l’atelier de Brazzaville demandait au gouvernement de rendre la mariée belle pour qu’elle puisse aller au mariage. En quelque sorte, réunir d’abord les conditions avant de s’engager dans les réformes. Malheureusement, le gouvernement a signé une convention d’affermage avec la Senelec du Sénégal pour venir nous aider à résoudre les problèmes de black-out. La solution des black-out que nous vivons est connue. C’est parce que nous n’avons pas un barrage d’à proximité. Nous, les partenaires sociaux associés avec les cadres de E2C, avons mis à la disposition du gouvernement plus de 2 ou 3 documents pour apporter la solution à la déserte de l’électricité au Congo. Les autorités le savent pertinemment, nous avons besoin des investisseurs qui soient capables et dignes de ce nom d’investisseurs de venir construire une deuxième ligne électrique qui doit relier Pointe-Noire et Brazzaville. En cas où la première ligne aurait des dysfonctionnements, la deuxième prendra le relai pour éviter des coupures à répétition que nous décrions tous.  La loi sur le code de l’électricité est claire. Ceux qui veulent investir,nous n’avons pas mal des sites, ils peuvent ériger leurs barrages et nous vendre de l’électricité comme le fait la République Démocratique du Congo (RDC), la Centrale électrique du Congo (CEC). C’est aussi une forme de réforme.

Au départ, nous avons dit oui pour les réformes, mais, il y a un chemin à suivre. Pourquoi l’Etat congolais n’a-t-il pas laissé E2C comme entreprise historique de l’électricité ? C’est ce que fait le Sénégal. La Senelec a ses barrages. Elle fait la production et le transport, assure la distribution et la commercialisation. La Senelec ne va pas travailler pour le compte des congolais. Elle va travailler pour se faire des bénéfices. C’est une concession.  Le fermier a apporté son argent, il doit faire ses bénéfices. Dites-moi, ça va peser sur qui ?  C’est sur les têtes des Congolais. Ce sont les ménages des congolais qui vont subir. De vous et moi, il y a des non-dits. Je vous renvoie à l’interview du Directeur général de l’E2C à la télévision congolaise, au journal de 20h. Il a dit que l’État congolais perd le monopole de la commercialisation et de la distribution.

DN :  Au regard cette situation, que disent les partenaires sociaux ?

MSF :  Nous les partenaires sociaux, nous avons pour objectif de sauvegarder l’outil de travail et les emplois. C’est notre mission primordiale. Mais, nous voyons dans tous les documents que j’ai mis à votre disposition, nos emplois sont menacés, malgré l’assurance du fermier qui pense reprendre tout le personnel. Ça c’est la forme.  

DN : Et le fond ?  

MSF :  On a privatisé Hydro-Congo, il y a toujours des pénuries de pétrole et du carburant dans le pays, c’est même le pire encore. C’est E2C qu’ils vont donner aux sénégalais qu’ils vont améliorer la situation. On a dit que ce schéma est suicidaire. Le type de réforme que le gouvernement a choisi ne va pas amener la société E2C dans le développement. La société qui a signé la convention est une filiale de la Senelec qui n’est même pas connue du grand public. Ce n’est que le gouvernement qui connait cette société. C’est une mascarade pour avoir la richesse. Ce fermier, s’il part avec la richesse du Congo, qui allons-nous poursuivre. On veut bien des investisseurs, mais lesquels. Ils ne rassurent pas les travailleurs. Les inquiétudes exprimées par les travailleurs reposent surtout sur le choix de ces partenaires qui ne sont pas fiables dans leur gestion. L’exemple de l’actuel président de la chambre de commerce de Brazzaville est patent. Il a échoué partout où il est passé.

 Je vous donne un exemple, hier, on nous a convaincu qu’Hydro-Congo n’avait pas une bonne couverture nationale en distribution des produits d’hydrocarbures, vrai ou faux ?  vrai. Dès mon jeune âge, je me souviens, très loin au plus profond de la Likouala, tu pouvais aller à la station à 17h ou à 18 h, tu trouveras le pétrole lampant au même prix que celui qui est à Brazzaville. On nous a fait croire qu’Hydro-Congo avait une mauvaise prestation, il faut céder le secteur à Total, X-OIL, Puma, tout ce que vous connaissez. Dites-moi toutes ces entreprises réunies peuvent-elles faire la moitié de la couverture qu’ Hydro-Congo faisait dans le temps ?  Je dis non, non. Voilà pourquoi nous ne voulons pas tomber dans ce schéma-là.

Il coûtait quoi que le gouvernement puisse investir à l’ONPT pour qu’il ait des kits de la technologie de pointe aujourd’hui de téléphone et de téléphonie mobile. On pouvait le faire et les gens pouvaient continuer à travailler. Ça coûte quoi au gouvernement d’avoir une feuille de route, bien définie, qu’il doit donner aux gestionnaires de E2C, et les suivre de près. Si le gestionnaire ne tient pas aux objectifs, on le relève. Est-ce que quelqu’un peut être contre cela ? Nous disons non. Nous serons plutôt pour cette sanction. Qu’on nous donne une feuille de route et les objectifs à atteindre. Il y a des sachants de la maison et des dirigeants qui peuvent relever les défis de l’électricité au Congo.

DN : Qu’est-ce que l’État tire comme profit dans cette convention ?

MSF:  Je ne vais pas m’engager dans le débat de l’État parce qu’il a ses objectifs en ce qu’il a fait.  En réalité, si vous, vous avez une maison et que vous avez un contrat avec quelqu’un qui veut améliorer votre maison pour y habiter. Je pense qu’il serait mieux de faire un contrat gagnant-gagnant, c’est plus simple que de faire un contrat où toi qui es le propriétaire de la maison est perdant.

DN : Pourquoi le gouvernement ne peut-il pas réhabiliter le barrage du Djoué pour finir avec les délestages ?

MSF :  Vous revenez encore sur la même question des concessions. Voilà encore un exemple palpable. Un concessionnaire qui veut nous apporter de l’argent, qu’il n’a qu’à ressusciter ce cadavre-là.  En ce moment-là, quand il va nous pomper de l’énergie sur le réseau, on va avoir un accord avec lui pour payer au fur et à mesure.

DN : la Société E2C est- elle un goulot d’étranglement sur les investissements malgré que les congolais paient les factures et l’État apporte des subventions ? 

MSF : C’est très bien de dire cela.  Que l’État congolais se prononce comme ça. Il est où pour le contrôle. À qui revient le rôle du contrôleur ? Où est la feuille de route, où est le contrat de performance ?  Vous donnez à quelqu’un de l’argent, il n’y a pas un contrat de performance, ni une feuille de route, mais comment vous allez l’apprécier son action ? Je pense que l’État a aussi une part de responsabilité dans tout ce qui se passe et cela se résume par le laisser- aller.

DN :  Nous pensons avoir fait le tour de la situation, quel est votre mot de la fin ?

Une chose est vraie, nous qui faisons partie du collège des syndicats, nous ne sommes qu’une courroie de transmission entre la base et l’administration. Nous sommes en train de jouer pleinement notre rôle. Nous avons une forte pression. Elle est palpable. Vous pouvez le sentir même dans la rue tel que vous avez vu. En toute honnêteté et avec un cœur serein, nous voulons que nos voix soient entendues par le gouvernement et qu’il apporte une solution idoine à la situation actuelle qui prévaut au sein de E2C.

Propos recueils par Orland Alain