Le monde francophone a célébré, le 20 mars, la journée internationale de la francophonie. Cette commémoration a été marquée par l’organisation de plusieurs évènements pour mettre en lumière la diversité et la vitalité de la langue française. Au Congo, le Bureau national de l’agence universitaire de la francophonie (AUF-Congo) a organisé une conférence débat sur le thème : « Le français parlé et écrit des apprenants congolais ». Ce thème évocateur a permis au Pr Alain Fernand LOUSSAKOUMOUNOU, chef de parcours Master-Français, à l’École Nationale Supérieure (ENS), de s’exprimer, dans une interview réalisée avec le média en ligne « Datsoue news » sur les particularités de la langue française en milieu scolaire et les interférences des langues maternelles dans le français.
Datsoue News (DN) : Le monde a commémoré la journée internationale de la francophonie, quel est la particularité de la langue française en milieu scolaire ?
Pr Alain Fernand LOUSSAKOUMOUNOU(AFL) : A l’occasion de la célébration de la journée internationale de la francophonie, les formateurs d’enseignants en français de l’E.N.S que nous sommes, nous avons voulu partager l’expérience de la vie du français en milieu scolaire. Le français que nous apprenons passe avant tout par l’école. Historiquement au Congo, il y a eu une politique d’assimilation à un moment donné où on a voulu imposer le français comme la seule langue à l’école et exclure les langues locales. C’est ce qu’on appelait le monolinguisme didactique. Mais, nous constatons qu’aujourd’hui nos langues sont parlées de plus de plus en milieu scolaire. La présence de ces langues crée les interférences linguistiques. Ces interférences, si elles ne sont pas bien gérées peuvent être sources de difficultés d’apprentissage. L’apprenant peut confondre le passage d’un code à l’autre. Il faut des stratégies d’enseignement pour que l’élève qui se trompe puisse savoir pourquoi il s’est trompé. Aux futurs enseignants, la correction d’une copie, l’évaluation devient ainsi une occasion de remédier à sa didactique pour que l’élève comprenne mieux pourquoi il s’est trompé afin qu’il apprenne dans les meilleures conditions. Voilà, la philosophie que nous avons voulu faire partager au cours de la conférence débat.

Le Pr Alain Fernand Loussakoumounou, animant la conférence débat à l’occasion de la célébration de la journée internationale de la francophonie.
DN : Pour bien parler le français, Professeur, faut -il apprendre et comprendre les langues maternelles ?
Pr. AFL : Vous savez que l’apprentissage commence à l’école de base. Nous ne pouvons pas dire que dans les villages les plus reculés nos enfants ne parlent pas le français. L’école n’est pas seulement à Brazzaville. Elle se trouve aussi dans les centres ruraux. En Afrique de l’Ouest et même en RDC, ils ont développé des stratégies de didactique convergente où les enfants ont commencé à apprendre dans les langues du pays. Au Congo, il y a une circulaire ministérielle qui demande aux enseignants en milieu rural d’expliquer une notion compliquée dans la langue de la localité, s’ils la maitrise pour mieux faire comprendre à l’apprenant. Car, il y a des notions en français que les petits enfants de l’école primaire CPE 1, CPE 2, ne peuvent pas comprendre, s’ils n’ont pas le français comme première langue. Donc, l’apprentissage de la langue maternelle peut faciliter le passage et l’exposition à la langue française, surtout pour ceux qui sont en milieu rural. La langue française n’est pas seulement le parler, c’est aussi comprendre des phénomènes complexes, un problème tel qu’il est posé au tableau ou s’il est expliqué en langue locale. Si l’enfant ne comprend pas tout cela, on peut lui expliquer dans sa langue.
DN : Comment remédier aux interférences linguistiques, Professeur ?
Pr. AFL : Pour remédier aux interférences, nous devons s’appuyer au développement de la conscience linguistique. Ce n’est pas mauvais qu’un enfant apprenne sa langue et la pratique. Mais, le problème est qu’il sache passer d’un système linguistique à un autre, qu’il ne confonde pas les deux. C’est pourquoi, nous développons justement cette conscience linguistique pour qu’il comprenne comment le français fonctionne dans ses particularités qui sont différentes de nos langues. Ce sont des pratiques de didactique comparatives de pédagogie convergente.
DN : Existe-t-il une différence entre le français parlé et l’écrit ?
Pr. AFL : Ce sont deux pôles différents. Le français parlé est différent du français écrit. Les petits enfants à la maternelle parlent français, cela ne veut pas dire qu’ils ont la maîtrise du français. Tout le monde s’exprime en français à l’école. Quand vous écoutez ces apprenants, ils parlent un beau français. Mais, tendez-les un bout de papier qu’ils écrivent et vous constaterez les dégâts. C’est ainsi qu’on comprend que la vraie compétence de l’élève se révèle finalement à l’écrit. L’écrit prouve la compétence de l’apprenant en français dans la maîtrise de la langue. C’est à partir de l’écrit qu’on mesure le niveau de l’élève en français.
DN : Le thème de la journée internationale de la francophonie cette année met un accent sur les nouvelles technologies. Quel est l’impact de ces technologies au niveau de l’éducation nationale ?
Pr. AFL : C’est vrai, il y a les nouvelles technologies, mais, il faut savoir bien les gérer. Les études que nous avons menées ont montré les effets pervers de ces nouvelles technologies pour le système éducatif. Avec le système des sms, les abréviations dans la messagerie, des messages que les élèves envoient, commencent à influencer leurs pratiques orthographiques. Dans les rédactions, le mot « cassette », s’écrit désormais « k7 », « cadeau » s’écrit « Kdo ». Cela pervertit les élèves. Le travail à faire au plan pédagogique est de tracer la frontière entre la communication familiale des sms et le cadre institutionnel de l’école. Ce milieu scolaire est un cadre de règle qui doit respecter l’orthographe. Donc, la technologie ne peut pas modifier la tradition orthographique. Nous insistons là-dessus. Toutefois, dans les pratiques, les nouvelles technologies sont actuellement une bénédiction parce que les enseignants peuvent apprendre à réorganiser les enseignements, à faire des recherches avec les élèves à partir des téléphones. Le téléphone n’est pas seulement pour appeler les autres. On peut payer une connexion pour faire des recherches dans les différents domaines de la vie tels que sur la culture. Les nouvelles technologies ont certes des avantages, mais, elles doivent être canaliser pédagogiquement.
DN : Avez-vous une dernière préoccupation que nous n’avons pas évoquée ?
Pr. AFL : La grande thématique de la journée internationale de la francophonie a été : « Je m’éduque, donc j’agis ». Pour nous, éduquer, c’est une action de prise de conscience. Nous faisons prendre conscience des enjeux de la langue française en situation d’apprentissage au Congo afin de permettre aux enseignants, aux futurs enseignants de mieux agir pédagogiquement et didactiquement, de faire comprendre aussi aux étudiants et aux apprenants de mieux agir quand ils parlent. Sur, les lacunes, il ne faut pas croire que c’est seulement du côté de l’apprenant. L’enseignant peut aussi présenter des lacunes de langue, pédagogiques et professionnelles. Dans nos recherches, nous travaillons sur les lacunes des apprenants qu’on appelle des lectes d’apprenants.
Propos recueillis par Flore de Jésus et Didine Bonga.